La tourbière Cikwanikaci représente un milieu exceptionnel, formé
après la dernière glaciation au Québec.
Le début de sa formation remonte à environ 8200 ans avant aujourd’hui, lors de la vidange du célèbre Lac proglaciaire Barlow-Ojibway. À l’époque, n’existait qu’un lac peu profond, en réalité un simple élargissement de la rivière Laflamme dans lequel se jetait la rivière Bernetz. Au fil du temps et de l’écoulement de l’eau, de petits bancs d’argile (dépôts lacustres limono-argileux) se forment le long des chenaux des deux rivières, formant un lac cette fois bien séparé des deux cours d’eau et formant également l’ile Cikwanikaci, à proximité. L’entourbement commence par la suite, se poursuit très lentement jusqu’à nos jours et se poursuivra encore durant les prochains siècles.
À travers le monde, existent plusieurs types de tourbières. Au Québec, on les classe en deux grandes catégories : les tourbières ombrotrophes (bogs) et les tourbières minérotrophes (fens).
Les tourbières ombrotrophes sont généralement pauvres en éléments minéraux qui proviennent surtout des précipitations. Elles supportent donc une flore vasculaire peu diversifiée et monotone.
Les tourbières minérotrophes, contrairement aux précédentes, ont accès à une grande quantité d’éléments minéraux, notamment du calcium, se traduisant en surface par une flore vasculaire riche et variée. Ces éléments minéraux peuvent venir de deux sources :soit par ruissèlement des pentes voisines, soit par le sol minéral qui supporte la tourbière.
La tourbière Cikwanikaci, minérotrophe, logée dans la plaine argileuse, s’alimente en éléments minéraux à partir des dépôts limono-argileux sous-jacents très riches en calcium. Ces éléments minéraux migrent sans entrave vers la surface. On trouve donc une grande richesse d’espèces vasculaires, dont de nombreuses calcicoles.
Les sphaignes tapissent les tourbières : elles forment le moteur de leur développement. Au fil des siècles, elles s’accumulent et forment progressivement avec d'autres plantes une couche plus ou moins épaisse de matière organique. Le rythme d’accumulation de la tourbe dépasse son rythme de décomposition de sorte que progressivement le plan d’eau original finit par se combler, en formant un léger monticule. Ce comblement devient tel, qu’il peut supporter des peuplements adultes de conifères, surtout d’épinettes noires. On retrouve de ces peuplements à la tourbière Cikwanikaci, dont un important dans la pointe nord de la tourbière.
Parfois, une partie de la tourbe (de sphaigne) demeure en surface : elle flotte et la végétation vasculaire s’y établit, formant des tapis flottants relativement épais, sur lesquels on peut marcher, mais avec la plus grande prudence. Le danger de défoncer est toujours présent. À la tourbière Cikwanikaci, on trouve de nombreuses parties flottantes, dont une de plusieurs hectares sur laquelle il est impossible de s’aventurer sans un équipement approprié.
Lorsque les points de passage des éléments minéraux vers la surface sont colmatés par l’épaisseur de la tourbe, la végétation s’appauvrit et la tourbière ou cette partie de la tourbière se transforme, passant d’un état de fen (riche) à un état de bog (pauvre). Chose intéressante, dans cette tourbière, on trouve tous les stades de développement, de la mare non encore entourbée aux peuplements de conifères adultes, de zones riches à des zones pauvres.
Les tourbières peuvent être non structurées avec ou sans plan d’eau. Elles peuvent être structurées, i.e. présentant une physionomie particulière, organisée. La tourbière Cikwanikaci en est une minérotrophe structurée ridée. De petites mares allongées et peu profondes appelées flarks1 côtoient parallèlement des bandes de sols fermes et solides, les lanières, donnant à la tourbière un aspect ridé, lorsque vue du haut des airs. Ces lanières sont généralement perpendiculaires au sens de l’écoulement de l’eau. Si la glace semble jouer un rôle important dans l’évolution de ce type de tourbière, le point de départ de sa structure semble moins sûr et demeure encore discuté dans les cercles scientifiques.
Ces mares pourraient être également de formation récente grâce à la destruction localisée de la tourbe.
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On trouve ici et là des plantes non associées
aux tourbières.
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1. Flarks : mot d'origine scandinave